Petits bouts de Rousseau.


Un autre compagnon tiré de la valise :
Jean-Jacques ROUSSEAU, Œuvres..., T. 9, Discours sur l'origine et les fondemens de l'inégalité parmi les hommes. Paris : Bossange, 1791.

La force de Rousseau, c'est bien son tourne-mot — une habileté soutenue par un droit-penser qui ne s'égare probablement que dans les notes : il avait sûrement trop à dire.

Sans outre-bla, quelques citations, et quelques commentaires superflus.

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Le cheval de bataille et le leitmotiv de Rousseau, c'est l'homme, la société qu'il a créée, et l'homme qu'elle a créé à son tour.

Le problème, le souci ? c'est l'homme malgré lui, macaque évolutif.

C'est la "perfectibilité" de l'homme qui "le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature." (I ; 111)

La cueillette, la chasse, le rassemblement, les vêtements, l'agriculture, les murs, la cité, les loix, le mariage, etc. — jeux d'intérêts, rationalisation, peaufinements, jusqu'à se perdre et devenir, de nature, culture.

"Il en est ainsi de l'homme même : en devenant sociable et esclave, il devient foible, craintif, rampant, et sa manière de vivre molle et effeminée, achève d'énerver à la fois sa force et son courage." (I ; 105)

Rousseau ne s'exclut pas de ses conclusions : il se juge lui-même pourri au plus haut point par la société qu'il exècre, et bien incapable de revenir à l'état perdu qu'il appelle de ses vœux. C'est un des points sympathiques du bonhomme.

On met souvent en avant le côté "marxiste" de R — l'état et l'économie sont les instruments de la perpétuation de la position de pouvoir et d'asservissement du riche — du fait, également, d'une manière de dialectique hégélienne du maître et de l'esclave :

"la société et [les] loix [...] donnèrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles forces aux riches, détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux, assujettirent désormais tout le genre humain au travail, à la servitude et à la misère." (II ; 185)

De plus, le nécessaire du plus grand nombre sera négligé au profit du superflu de quelques uns — c'est que le galeriste en vogue et le petit paysan n'ont pas exactement les mêmes revenus : aucun intérêt — sinon d'empêcher la révolte — de s'attacher à ce qui ne rapporte pas :

Agriculture = le moins lucratif de tous les arts, car prix doit être proportionnel aux facultés des plus pauvres. Arts : lucratifs inversement à leur utilité ; arts les plus nécessaires seront négligés. (I, note 9 ; 243).

Certes, certes ; mais il ne faut oublier pas que le faible n'a qu'à s'en prendre qu'à lui-même :

"Le premier qui ayant enclos un terrain, s'avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai créateur de la société civile." (II ; 155)

L'habile premier propriétaire ne fit que tirer avantage de l'idiotie de ses congénères : darwinisme dans les règles, sans surprise. Et ce n'est pas fini : puisqu'

" il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulens, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et fortifier les tempéraments robustes qui en ont l'habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les foibles et délicats qui n'y sont point faits." (Dédicace ; 44)

La propension à jouer le jeu sociétal, le jeu du servage, est souvent la plus forte, et le "faible", séduit par le faste et l'argent facile, rajoute à sa condition une bonne couche de misère volontaire :

"Plus les capitales frappent d'admiration les yeux stupides du peuple, plus il faudroit gémir de voir les campagnes abandonnées, les terres en friche, & les grands chemins inondés de malheureux citoyens devenus mendiants ou voleurs, & destinés à finir un jour leur misère sur la roue ou sur un fumier." (I, note 9 ; 244)

Beaucoup se plaignent de la chèreté de Paris, Tokyo, Londres, NY ou ailleurs : ils n'ont qu'à en sortir : c'est une question de bride de soif de... de quoi d'ailleurs ? Il faut peut-être juste savoir où s'arrêter.

"et vous n'avez plus besoin, pour devenir parfaitement heureux, que de savoir vous contenter de l'être." (Dédicace ; 53-54)

Beaucoup de bla sur la notion de bonheur, en cette fin de XXe - début de XXIe. C'est pourtant simple : il suffit d'être apte à apprécier la juste suffisance et le contentement.

Si d'aucuns doutaient encor de quel côté est l'innaturel et le malsain, R oppose ce qui me semble être un argument solide :

"Je demande si jamais on a ouï dire qu'un sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner la mort ? Qu'on juge donc avec moins d'orgueil, de quel côté est la véritable misère." (I ; 131)

On aura beau répondre par un néo-darwinisme sociétal ou autre excuse auto-justificative, le suicide c'est tout de même une invention sacrément dérangée.

(Bien sûr il y a suicide et suicide, et l'exemple historique de la mort choisie, raisonnée ou esthétique, n'est pas exactement ici à sa place ; Rousseau, par ailleurs, ne pense pas à elle quand il l'écrit.)

Ceci dit, et heureusement, l'homme a encor en lui quelque correctif à tous ces maux sociétaires :

"le pur mouvement de la nature, antérieur à toute réflexion" = "force de la pitié naturelle". (I ; 137)
"de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales" : générosité, clémence, humanité, bienveillance, amitié : pitié appliquée aux faibles, coupables, à l'espèce humaine, à un objet particulier (I ; 138).


Là, c'est tout de même l'idéaliste qui parle : à voir nos belles mégapoles, on pourrait à titre auto-justificatif — encore — traiter R de bel idiot à son tour. Car il est très-probable qu'on ne trouve plus en l'homme

"que le difforme contraste de la passion qui croit raisonner, et de l'entendement en délire." (Préface, 72)

Car l'homme a beau être perfectible, il y a encore du boulot — à recommencer à chaque naissance, m'est avis.

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Un autre cheval de bataille de Jean-Jacques est subséquent au précédent : c'est la relation homme-femme en société, qui met à jour qui est l'autre réel profiteur du système :

"le moral de l'amour est un sentiment factice, né de l'usage de la société, et célébré par les femmes avec beaucoup d'habileté et de soin pour établir leur empire, et rendre dominant le sexe qui devroit obéir." (I ; 143)

Sauf que la femme étant une créature qui n'a pour vision que son confort personnel présent et à venir, et qui prend ses sentiments pour des raisonnements, forcément ça foire :

"le devoir d'une éternelle fidélité ne sert qu'à faire des adultères, et [...] les loix même de la continence et de l'honneur étendent nécessairement la débauche et multiplient les avortements." (I ; 147)

Car, après tout, quoi de plus anti-naturel et dégénéré que le concept et le fait du Couple ?

"cette espèce de mémoire pour laquelle un individu donne la préférence à un individu pour l'acte de la génération, exige [...] plus de progrès et de corruption dan l'entendement humain, qu'on ne lui en peut supposer dans l'état d'animalité dont il s'agit ici." (I, note 12 ; 268)

Enfin bref. Mmmh ? Résumer Rousseau en une phrase ? Ah, ça c'est facile :

ON EST MAL BARRÉ.

; )


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2 commentaires:

Clarence Boddicker a dit…

Et moi, j'ai l'air tout con avec mes sandales Minnie et mes voyages au conbini...

"Je demande si jamais on a ouï dire qu'un sauvage en liberté ait seulement songé à se plaindre de la vie et à se donner la mort ?"

Merci R, je sais ce qu'il me reste a faire ! :D

Clarence, philosophe en scooter

n a dit…

Tu as des sandales Minnie ?? La claaasse ! ; )

Pour concilier R et notre irrécupérable, on pourrait faire un mix et remix du style, mmmh, Jane & Tarzan in Tokyo ?

Eh.

Bien envie de siester.