Montaigne et l’amitié : Essais, I, xxviii

(Le texte de Montaigne se peut trouver par exemple ici ou ; chp xxvii ou xxviii selon les éditions. La dissertation qui suit ne peut être reprise, sous quelque forme, sans attribution ni notre autorisation. Le plagiat, de la forme comme du fond, ce n'est jamais du joli, en plus d'être un crime ; ne pas penser par soi-même c'est pitoyable.)


Avant-propos.

Au commencement de l’amitié, nous avons deux noms : le nom d’un mort, de l’ami mort, et le nom d’un vivant qui se souvient du vivant qu’était le mort, qui se souvient et l’écrit et l’honore, écrit l’écrit que nous lisons, à présent l’écrit d’un mort. C’est un mort vivant par l’écrit, dans l’essai, qui nous parle d’outre-tombe sur la tombe d’un autre perdu (l’ami), de lui-même, de cet autre, et du temps où ils étaient deux, c’est dire : un, nous dit-il.
Il écrit l’amitié (mais qu’est-ce que c’est ?), il écrit les amis (qui sont-ils ? qui peuvent-ils être ?), au moins deux (combien sont-ils, en fait ?), pour mémoire, en mémoire de ce temps-un si rare, temps d’un temps (quatre ou cinq ans, date-t-il), autre temps, passé, en ce temps, celui du vivant-mort (pour lui, pour nous), où il n’est plus qu’un, seul, c’est dire : à demi, nous dit-il.
Il écrit en ce temps où l’ami survit à l’ami, en un temps de retraite, en son château, dans sa bibliothèque — retraite que le vivant doit en partie au mort. Hors d’une société, d’un politique passé, renié, le vivant s’est retiré chez soi pour écrire ce qui n’était qu’entre eux. Il écrit la trace laissée d’un passage — oraison, épitaphe.
Mais il n’est pas seul face à sa page : d’autres que lui, comme lui pour nous, ont laissé des traces, des traces qu’il a avec lui en son tour, dans sa tour (cette réserve de livres) et qu’il a lues — traces qu’il a avec lui, en mémoire. Il a lu son ami mort, qui lui a légué ses papiers et ses livres, il a lu Cicéron, il a lu Aristote, il a lu…, et nous lisons en témoins Montaigne relisant ces feuilles des morts parlant d’amitié et d’amis, vivants et morts, parlant, seuls, entre eux, d’eux et d’autres, entre autres, autrement, avec leurs mots vivants, avec leurs mots funèbres. Avec une seule question (mais combien sont-elles, en fait ?) : l’amitié qui fut, qu’était-elle ? C’est dire : Qu’est-ce que c’est ? Qui sont les amis ? Où sont-ils ? Combien sont-ils ? Et maintenant qu’il est mort, qui suis-je ? que suis-je ? où (en) suis-je ? suis-je encore ? C’est une redéfinition essentielle qui se fait à mesure que s’écrit et s’interroge l’amitié, l’entr’amis. C’est la rupture même qui s’écrit lors que se rappelle à lui l’ami, lors que Montaigne (ré)écrit La Boétie, lors que Montaigne tente (d’un appel) de jeter ce pont, pli de page et de temps, entre vivant et mort — pli de deuil et de mémoire, encore. Et c’est par ce biais, par une chrono-logie à rebours, par la mise en question des topoï du logos amical et le pouvoir de celui-ci ( I ), que nous tenterons de saisir l’amitié et les amis en effet ( II ), tels que Montaigne les écrits, tels qu’ils seraient, tels qu’ils sont, peut-être, car :

« […] la pensée du « peut-être » engage peut-être la seule pensée possible de l’événement. De l’amitié à venir et de l’amitié pour l’avenir. Car pour aimer l’amitié, il ne suffit pas de savoir porter l’autre dans le deuil, il faut aimer l’avenir. »

*

I — L’amitié, à la limite : Montaigne écrivant.

« L’ancien Menander disoit celuy-là heureux, qui avoit peu rencontrer seulement l’ombre d’un amy. Il avoit raison de le dire, mesmes, s’il en avoit tasté. »

A — Le là de la parole : le moment et lieu des amis.

« On ne plaind iamais ce qu’on n’a iamais eu, et le regret ne vient poinct, si non aprez le plaisir ; et touiours est, avecques la cognoissance du [mal heur], le souvenir de la ioye passee. »

Montaigne nous parle de l’amitié, des amis. Il nous dit ce qu’ils ne sont pas, pour tenter de dire ce que lui et La Boétie furent. Mais avant de s’attacher à ces deux choses, il nous faut savoir ce qu’ils sont, ce que ces deux amis, Montaigne et La Boétie, sont, au moment où Montaigne écrit (mais d’où écrit-il eux ?).
La Boétie meurt en août 1563, et l’on ne sait que ceci du moment de l’essai : que Montaigne en écrivit la première partie avant 1576 (date de publication, dont Montaigne fait mention et qu’il condamne, du libelle séditieux reprenant, d’un nouveau nom, le Discours de la Servitude volontaire), et la seconde partie après cette même date. Autre date, la dernière, pour n’en pas abuser : en 1571, après avoir cédé sa charge de Conseiller au Parlement, Montaigne se retire sur ses terres.
Que dire de cela ? Le là des amis, de ces amis, peut-être. La Boétie est mort ; Montaigne, lui, vit. Quatre ou cinq ans d’amitié, puis la mort d’un des deux amis. Puis vient le temps de l’écrire, temps de retraite, temps de marge, hors société, hors commerce, hors polis, temps de châtelain, en l’oikos, au centre duquel se trouve la bibliothèque, tour de livres, c’est dire : d’auteurs morts mais vivants par le papier et l’encre. Nulle surprise que Montaigne ne nous parlera pas du politique, ou plutôt : n’en parlera que pour dire sa disconvenance, son rien-à-voir, nous le verrons plus tard, avec l’expérience amicale telle que lui, Montaigne, l’a vécue. Car le temps de Montaigne écrivant, c’est en somme celui du deuil solitaire. C’est celui de l’ami sur-vivant l’ami, le temps du « regret », comme l’écrit La Boétie, le temps — et manière — pour le survivant de, littéralement, rendre au mort raison et grâce pour ce qui et ce qu’il fut (mais qu’est ce que c’est, ce qui fut ?) :

« Or il n’y a pas d’amitié stable sans confiance, mais il n’y a pas de confiance sans le temps. Il faut en effet la soumettre à l’épreuve du temps comme le dit Théognis :
Il n’est pas possible de connaître l’esprit d’un homme ou d’une femme
Avant d’en avoir fait l’épreuve comme pour une bête de somme. »

Ce temps de l’oraison funèbre de l’ami à l’ami, au bord de la tombe, déjà tombé, c’est le temps du survivre, de la survivance, un temps très-possible, plus-que-possible, puisqu’il est là, et un temps impossible : c’est un temps qui n’en finit pas, c’est le temps qui nous reste, c’est ce qu’il reste de ces amis de lui à nous, c’est le temps que nous lègue Montaigne, c’est le leg même de Montaigne : le « la » de la parole, le ton de l’amitié, à la limite (le bord de la tombe), c’est l’épitaphe. C’est un temps qui n’en finit pas, et un temps qui n’en finit pas de finir : là, en ce moment et lieu, en ce ton aussi, est l’impossible et fol nom de l’amitié : la résurrection, le vivre encore et à nouveau.

B — L’épreuve amicale : le mort est vivant.

« [O]bserver un véritable ami équivaut à observer quelque version exemplaire de soi-même : les absents sont alors présents, les indigents sont riches, les faibles pleins de force et, ce qui est plus difficile à expliquer, les morts sont vivants : tant le respect, le souvenir, le regret de leurs amis continue de leur être attaché. »

Pas d’amitié sans le temps et son épreuve : pas d’amis sans amis mis à l’épreuve dans le temps, nous dit Aristote. Le Stagirite nous parle d’amis vivants, dont la preuve du lien vivant qui les unis, dont la preuve de l’ « aimance », comme l’appelle Derrida , dont la preuve de l’entr’aimer d’amitié — car c’est bien de cela qu’il s’agit— est le vivre amical, le vivre ensemble des amis, encore et encore, dans le temps — aussi advers que celui-ci puisse être. Mais quelle adversité plus grande que le temps qui finit ? Quelle épreuve plus rude que l’épreuve mortelle ? que la mort de l’ami ? que du survivre à l’ami ? L’épreuve-limite à laquelle seront confrontés les amis, l’épreuve-limite de l’amitié dans le temps, c’est la mort. C’est la mort de l’un, c’est la survie de l’autre. L’horizon des amis — horizon comme limite et absence de limite — c’est précisément : la tombe, un (ami) en deçà, un (ami) au-delà. Et l’on pourrait dire (comme on dit : « avoir déjà un pied dans la tombe ») que le copule formé par les amis qui sont un (nous dira Montaigne), a, déjà et toujours, à la limite, un ami dans la tombe. C’est le point critique, la masse critique de l’entr’aimer d’amitié : qu’il n’en reste qu’un seul.
On aura compris que nous assumons que Montaigne écrivant passe cette épreuve, et ce, peut-être, sans que lui-même le sache. Surmonter cette épreuve, passer au travers de la mort de l’ami, lui survivre, et l’écrire comme Montaigne le fait, c’est faire ce que Cicéron savait, c’est faire « ce qui est plus difficile à expliquer » : l’effet du passage, c’est que « les morts sont vivants ». Se rappeler pour rappeler à soi (l’ami). C’est par le souvenir, c’est par le regret, aussi, c’est par le sentiment de n’être plus qu’« à demy » :

« Depuis le jour que je le perdy, […] je ne fay que trainer languissant ; et les plaisirs mesmes qui s’offrent à moy, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte. Nous estions à moitié de tout ; il me semble que je luy desrobe sa part […]. J’estois si fait et accoustumé à estre deuxiesme par tout, qu’il me semble n’estre plus qu’à demy. […] Il n’est action ou imagination où je ne le trouve à dire, comme si eut-il bien faict à moy. »

c’est par l’expérience de la perte de soi dans la perte de l’autre qui est moi, c’est par cette obsession vivante de l’ami, qu’est Montaigne écrivant, c’est par l’épitaphe incessante, que l’ami mort (re)vient à lui (d’entre les morts). Nous avons dit que le temps de l’épitaphe de l’ami vivant à l’ami mort (de soi à soi) est temps impossible, car c’est un temps qui n’en finit pas (qui, pour Montaigne, finirait peut-être avec sa mort : l’épitaphe serait un grief, une « grievance » interminable qui ne se clorait que lors que la plainte et voix du vivant serait définitivement éteinte), et car c’est un temps qui n’en finit pas de finir. Il est temps, maintenant (car maintenant nous le pouvons), de nous expliquer. C’est un temps qui n’en finit pas de finir, car d’emblée, du temps du vivant des deux, le temps de la mort d’un des deux est là ; la mort est en nos vies : nous n’en finissons pas de mourir : le temps de la mort de l’ami est certain et indéterminé, l’ami aussi est un « être-pour-la-mort » (pour reprendre un topos heideggerien). Mais le temps de la mort de l’ami maintenant mort n’en finit pas de finir pour le (sur)vivant, car chaque jour il (se) rappelle son ami, par le souffle, par la pensée, par le mot, par l’essai (et chaque ligne de l’Essai sur l’amitié est ainsi tentative désespérée de rappel à soi de soi), car chaque jour il (se) rappelle sa mort, et par là même (r)appelle sa propre mort, pour que finisse ce temps qui n’en finit pas de finir. Mais même alors en ce temps-ci, ce temps d’amis et de morts qui ressuscitent, temps d’amitiés épitaphiques, rien ne finit de finir, pour Montaigne mort, car ses mots d’obsessif regret de retrouvailles impossibles sont lus : nous faisons que ce temps n’en finisse pas de finir. (Et, à la limite, la seule façon qu’il finisse un jour, serait d’écrire la fin de ce temps, d’écrire les retrouvailles. Mais cela aussi, peut-être, est impossible : cela aussi, peut-être, est folle trouvaille.)
À présent pouvons-nous nous demander ce qui revient à la vie, qui revient à la vie, via le vivant et son appel. C’est dire : qu’est ce que c’est, l’amitié ? qu’est-ce que c’est, un ami ? que veut dire Montaigne, à présent que nous savons un peu mieux d’où il écrit et ce que ces mots font, à présent que nous savons un peu mieux ce que veut dire : Montaigne écrivant (à) l’ami (lui-même) ?

*

II — L’amitié, les amis, en deçà de la limite : l’alchimie, entre « ombre » et « secret ».

« L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose saincte […] »

A — Les « escholes anciennes ».

Cet Essai sur l’amitié est proprement tentative de dire ce que veut dire, pour celui qui l’écrit : l’amitié, et peut-être aussi ce que veut dire, à celui qui l’écrit, l’amitié. Deux manières de dire le déchiffrage, le dé-cryptage, c’est-à-dire, étymologiquement : l’art de rendre le caché à la lumière, à l’œil, à savoir : lisible. Décrypter, c’est mettre le secret à jour. Car il semble bien, pour Montaigne, qu’il y ait en l’amitié qu’il essaie d’écrire, celle qu’il a vécue, une part qui ne se veut dire, qui ne se veut lire : une part de secret, une part d’inexplicable. Dès lors, comment aborder le secret ? en quel sens déplier l’amitié pour faire qu’elle puisse se donner, pour faire qu’elle puisse se lire ?
Le premier réflexe de Montaigne est de regarder au tour de soi, ainsi qu’on lui a appris, et ce même s’il s’en défie (mais la question de l’éducation n’est pas vraiment la nôtre) : le premier réflexe de Montaigne est de prêter l’oreille aux Anciens. Il va ainsi reprendre les Anciens à sa façon, il va opérer, littéralement, une réfection, de bout en bout, des analyses des modes d’être-ensemble, des modes du vivre, pour voir s’il y a co-incidence, cadre, emboîtement, de ceux-ci avec son expérience amicale, celle-là même qui n’arrive, écrit-il, qu’« une fois en trois siecles » . Qu’est-ce qui a à voir avec cette amitié ?
Montaigne « passe » rapidement sur Aristote, qui apparaît pourtant comme incontournable, et ce en le tronquant. Nous y viendrons dans un moment. Qu’est-ce donc qui a à voir avec cette amitié ? Ce n’est certainement pas, écrit Montaigne, « ces quatre especes anciennes : naturelle, sociale, hospitaliere, venerienne » ; ce n’est pas la relation filiale (qui est « plutost du respect ») ; ce n’est pas non plus « l’affection envers les femmes » (l’amour est inconstant) ; ce n’est pas non plus le mariage (en lequel d’autres choses et intérêts se mêlent) — et, au passage, il faut noter qu’il ne pense pas que les femmes soient (encore ? déjà ?) capables d’une telle amitié : il n’en est pas d’exemple chez les Anciens, il n’est pas d’exemplification cicéronienne des amies, écrit Montaigne en le regrettant — ; et, pour finir, cette amitié n’est pas non plus cette « autre licence Grecque », la relation entre amant et aimé (en laquelle d’autres attraits trop accidentels nous meuvent) .
Aucune de ces relations, de ces entre-nous possibles, ne semble convenir à Montaigne. Il faut ajouter à cela, écrit-il, que :

« Au demeurant, ce que nous appellons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu’accoinctances et familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. »

C’est rejeter d’un même coup ces « amitiés ordinaires et coustumieres » , ces amitiés secondes, ainsi que les nomme Aristote, celles qui se fondent sur l’utilité et le plaisir , qui ne sont que des dérivés de l’amitié « première », l’amitié qui seule est absolument « réciproque » , qui seule « permet de nommer les autres » amitiés, la seule qui soit « fondée sur la vertu et apparaît grâce au plaisir de la vertu » . Dans les termes de Montaigne :

« [En] général, toutes celles que la volupté ou le profit, le besoin publique ou privé forge et nourrit, en sont d’autant moins belles et genereuses, et d’autant moins amitiez, qu’elles meslent autre cause et but et fruit en l’amitié, qu’elle mesme. »

Mais Montaigne ne suit pas Aristote plus en avant, ni même ne mentionne cette « amitié première ». La raison en est peut-être qu’Aristote poursuit un biais qui ne convient pas à Montaigne, qui ne « colle » pas à l’expérience amicale de Montaigne, à l’amitié que Montaigne tente de dire. Car nulle part en ses pages nous ne trouverons place pour le politique, sinon cette reprise introductive à Aristote — dont Montaigne ne tire rien, qui est, littéralement sans suite — où l’on voit apparaître les mots : « justice » et « législateurs », mots qui n’apparaissent que pour disparaître, mots, pour ainsi dire, en passant :

« Et dit Aristote que les bons législateurs ont eu plus de soing de l’amitié que de la justice. »

Que tirer du passage de ces mots ? Une raison et thèse : qu’il n’est d’amitié qu’entre nous, que dans l’entre-deux (ou trois, nous dira Montaigne). Il n’est d’amitié qu’hors du politique. (Il faut se rappeler d’où écrit Montaigne.) Et lors que les deux sphères se chevauchent, il y a préséance de l’une sur l’autre :

« [Tiberius Gracchus et Caius Blosius] estoient plus amis que citoyen, plus amis qu’amis et qu’ennemis de leur païs, qu’amis d’ambition et de trouble. »

Nulle surprise qu’il ne suive Aristote sur le chemin de la « concorde », de l’« amitié politique » . Car c’est le principe de rareté qui caractérise l’amitié : la rencontre est statistiquement improbable (« une fois en trois siecles »). C’est, au commencement, ce qui fait la valeur de l’amitié, de l’entr’aimer d’amitié. C’est ce qui la rend inestimable. (C’est, aussi, ce qui fait que la perte de l’ami une telle perte, une perte sacrée, pour reprendre les mots de La Boétie.)
Force est de constater que les Anciens n’ont pas pu répondre positivement à la question que Montaigne leur posait (le souhaitait-il seulement ?) : la question de savoir ce qu’est l’amitié, la question de savoir qui sont les amis. Les Anciens n’ont pu dire que ce qu’elle n’était pas. Montaigne épuise les registres connus. Comment va-t-il alors pouvoir dire l’entr’aimer d’amitié ? En puisant en lui-même. En tentant de s’épuiser. Et il n’est pas d’autre solution : son expérience amicale n’a pas de précédent : il va devoir, pour ainsi dire, faire jurisprudence. Comment, alors, faire passer une telle amitié ? comment faire passer ce qui n’a pas (ou peu) d’équivalent(s) ? Peut-être en passant par son histoire, en tentant de tracer cette amitié. Car c’est peut-être lors que l’on tente de suivre l’amitié à la trace, que l’on peut, littéralement, l’envisager. Mais si nous avons à présent une petite idée de son « terme », où est son commencement ?

B — Du « nom »…

Au commencement de cette amitié, nous avons deux noms, et nous n’avons en effet que cela. Que cela ? Non pas, pas exactement : nous avons un pont jeté entre ces deux noms, nous avons un livre :

« Et si je suis obligé particulierement à cette pièce [i.e. le Discours de la Servitude volontaire], d’autant qu’elle a servy de moyen à nostre premiere accointance. Car elle me fut montrée longue piece avant que je l’eusse veu, et me donna la premiere connoissance de son nom, acheminant ainsi cette amitié que nous avons nourrie […]. »
« Nous nous cherchions avant de nous estre veus, et par des rapports que nous oyïons l’un de l’autre, qui faisoient en nostre affection plus d’effort que ne porte la raison des rapports, je croy par quelque ordonnance du ciel : nous nous embrassions par noz noms. »

Au seuil de l’amitié, en son commencement, nous avons le Discours. Au seuil de l’amitié, nous avons La Boétie écrivant son Discours, nous avons Montaigne lisant celui-ci, nous avons Montaigne et la Boétie mandant et écoutant, chacun de leur côté, rapports sur l’un, sur l’autre. Écriture, lecture, et bouche et oreille, tels semblent être les jalons de ce commencement. Mais c’est souligner aussi la distance, l’espace qui au commencement les sépare (une dizaine d’année sépare le moment où La Boétie écrit le Discours de celui de sa rencontre avec Montaigne en 1557 ou 1558) : c’est manière de dire « l’amour du lointain » cher à Nietzsche :

« Je ne vous enseigne pas le prochain, mais l’ami […], l’ami au cœur débordant […], l’ami créateur qui vous offre à tout instant un monde accompli. […]
Mes frères, je ne vous conseille pas l’amour du prochain, je vous conseille l’amour du lointain. »

C’est signe et manière de dire qu’il n’est pas besoin, pour Montaigne, d’être ici et maintenant ensemble et présents, car dans l’être ami et l’aimer d’amitié, « les ames [ont] entiere jouyssance » :

« L’amitié […] est jouye à mesure qu’elle est désirée, ne s’esleve, se nourrit, ny ne prend accroissance qu’en la jouyssance comme estant spirituelle, et l’ame s’affinant par l’usage. »

Nulle trace de corps dans ce qui éveille leur curiosité de l’un pour l’autre et de l’autre pour l’un ; nulle proximité de corps dans ce jeu d’écriture, de lecture et de « rapports » : c’est déjà, en cette amitié embryonnaire, un jeu des âmes via la scription, un jeu des âmes déjà proches dans le lointain. C’est ce que Montaigne appelle l’embrasser par le nom, et qui a fort à voir, ce nous semble, avec un aimer de (re)nom. Alors, alors seulement, le livre, le rendre-compte et compte-rendu peuvent laisser place à la rencontre, qui peut en fin avoir lieu ; les amis peuvent se faire immédiats : alors seulement, le nom aimé peut se faire visage.

C — … aux « entrailles ».

« Le secret que j’ay juré ne deceller à nul autre, je le puis, sans parjure, communiquer à celuy qui n’est pas autre : c’est moy. »

Montaigne tente alors de dire cette deuxième « période ». Il s’essaie à décrire, déplier, expliquer cet entr’aimer d’amitié en situation et acte — car c’est autant un aimer qu’un être aimé. Il s’essaie à mettre en forme ce qui de prime saut n’est que diffus, à mettre en mot et logique ce qui est d’abord senti :

« En l’amitié, c’est une chaleur generale et universelle, temperée au demeurant et égale, une chaleur constante et rassize, toute douceur et pollissure, qui n’a rien d’aspre et de poignant. »

Voilà, pour ainsi dire, le climat de l’amitié, le temps, agréable, rassurant, qu’il fait sous ces cieux cléments et propices. Car voici l’amitié en temps de maternité, en ce sens qu’elle fait advenir en effet, qu’elle donne naissance, qu’elle nomme à nouveau d’un même nom ceux qui étaient deux : elle fait don à ceux-là d’un nouveau nom qui est un nouveau nous :

« En l’amitié dequoy je parle, [les ames] se meslent et confondent l’une en l’autre, d’un meslange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. »
« [C]’est je ne sçay quelle quinte essence de tout ce meslange, qui, ayant saisi toute sa volonté, l’amena se plonger et se perdre en la mienne, d’une faim, d’une concurrence pareille. Je dis perdre, à la vérité, ne nous reservant rien qui nous fut propre, ny qui fut ou sien ou mien. »
« Nos ames ont charrié si uniement ensemble, elles se sont considerées d’une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l’une à l’autre, que, non seulement je connoissoy la sienne comme la mienne, mais que je me fusse certainement plus volontiers fié à luy de moy qu’à moy. »

Montaigne met cela en mot par variations sur thème, par mouvements sur fond. Car au fond, l’amitié fait que l’un est l’autre, sans qu’aucun des deux ne soit plus soi-même. Mais ce qui rend cela possible, c’est d’abord ce que Montaigne appelle les « termes de l’amitié » : « la convenance des volontez » : un autre nom pour l’accord, l’harmonie, c'est-à-dire la mise en résonance volontaire des vivre, pour ce que nous appellerons, en oubliant le sens que lui donne Aristote, la concorde — littéralement : ensemble le même cœur. C’est le mouvement des volontés de chaque un des deux, qui décident, en chœur, de « convenir », de venir ensemble, d’aller de concert « universellement », c'est-à-dire étymologiquement (unus-vertere) : en une même direction. Alors, nous dit Montaigne, par cette expérience d’immersion de l’un en l’autre, les comptes — crédits, débits et intérêts — ne comptent plus, ne riment plus à rien, ne veulent plus rien dire :

« [E]n l’amitié, il n’y a affaire ny commerce, que d’elle mesme. »

Toutefois, malgré ces essais, Montaigne ne sait exactement comment mettre en mots tout cela, comment dire l’expérience de l’entr’aimer d’amitié, œuvre de temps (« charrié »), de fortune , et d’eux deux qui ne font plus qu’un. Et c’est aussi, en un sens, cette incapacité à dire cette alchimie amicale qui fait d’elle un exemplar. Ce souci distictionnel de Montaigne cacherait — ou plutôt : révèlerait — une impuissance définitionnelle ? Pas exactement. Montaigne tente de surmonter cette résistance de l’amitié à se laisser mettre en forme en se mettant lui-même en situation d’urgence :

« Si on me presse de dire pourquoy je l’aymois, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en respondant : Par ce que c’estoit luy ; par ce que c’estoit moy. »

À l’urgence d’une demande putative qu’il se pose (en fait) à lui-même, Montaigne oppose en réponse, et à nouveau, un sentir — une manière de répondre qui vient du corps, une manière de répondre intuitive, comme si devant la faillite de l’analyse du premier sentir diffus, un retour au sentir, un ressentir, serait le nécessaire troisième terme. Manière d’aveu d’impuissance à pouvoir trouver une cause à l’entr’aimer d’amitié, à en connaître de maître et dernier mot, l’origine ? Peut-être. Aussi. Pas seulement. Ce serait peut-être plutôt manière de dire qu’il n’est que le corps qui puisse poser mot sur (ce qui fut) un vivre, ici vivre ensemble privilégié. Et même si Montaigne avance embrassement par les noms et communion d’âmes, l’amitié est avant tout chose du corps, sentir, ressentir, chose des « entrailles ». Et la seule réponse que le corps puisse donner, c’est lui-même. Nulle rhétorique ici chez Montaigne : la réponse du corps interrogé est la tauto-logie : le dire qui se dit à lui-même qu’il est ce qu’il est. Pourquoy nous ? Par ce que nous. Autant ne rien dire, en ce cas, si c’est pour répondre cela ? Non, assurément. Nous avons déjà vu, d’une part, l’obsession de l’écrire de Montaigne écrivant, et ce que cela permettait. Mais, d’autre part, il y a bien ce sentiment plénier, cette chaleur, ce même cœur ensemble, cette immersion des âmes que nous écrit Montaigne : au jour le jour il y a cette condition de possibilité de l’amitié, qui fait qu’elle est chose mouvante qui « s’esleve, se nourrit, […] prend accroissance » , qui fait que les âmes, littéralement, s’entre tiennent. Cette condition de possibilité, elle nous est révélée par cet alexandrin césuré exactement en son hémistiche : « Par ce que c’estoit luy ; par ce que c’estoit moy. » Ce qu’il y a derrière cela, c’est cette « saincte couture », c’est cette manière de point-virgule, c’est ce que Montaigne perdit en perdant son ami : c’est, très simplement, le miroir. Chaque un renvoie à l’autre sa propre image, même et autre, car passée par le regard de l’autre pour revenir à l’un. C’est pour cela que l’amitié

« ne se met iamais qu’entre gents de bien, ne se prend que par une mutuelle estime ; elle s’entre tient, non tant par un bienfaict que par la bonne vie. Ce qui rend un amy asseuré de l’aultre, c’est la cognoissance qu’il a de son integrité : les respondants qu’il en a, c’est son bon naturel, la foi et la constance. »

C’est pour cela qu’il faut, avec les mots d’Aristote, « égalité de vertu » entre amis. C’est pour cela, aussi, que Montaigne écrit qu’il n’y a rien qui leur appartienne en propre, ou à chacun d’eux séparément. Car c’est en effet à la fois plus complexe et plus simple que cela : c’est le sentiment que l’autre me renvoie mon « vray » moi, et qu’il est seul capable de le discerner, au-delà de la fumée et de l’onde de mes humeurs et apparences : l’ami est mon garant. Et je suis le sien (et ce même si Montaigne estimait que La Boétie le surpassait en tout). L’ami est le garant de mon être. Cela, c’est en effet « miracle » :

« [C]ette parfaicte amitié, dequoy je parle, est indivisible : chacun se donne si entier à son amy, qu’il ne luy reste rien à departir ailleurs […]. Les amitiez communes, on peut les departir […] ; mais cette amitié qui possede l’ame et la regente en toute souveraineté, il est impossible qu’elle soit double. […] L’unique et principale amitié descout toutes autres obligations. Le secret que j’ay juré ne deceller à nul autre, je le puis, sans parjure, communiquer à celuy qui n’est pas autre : c’est moy. C’est un assez grand miracle de se doubler ; et n’en cognoissent pas la hauteur, ceux qui parlent de se tripler. Rien n’est extreme, qui a son pareil. Et qui presupposera que de deux j’en aime autant l’un que l’autre, et qu’ils s’entr’aiment et m’aiment autant que je les aime, il multiplie en confrairie la chose la plus une et unie, et dequoy une seule est encore plus rare à trouver au monde. »

Ce serait « miracle », aussi, nous voyons pourquoi à présent, d’être plus que deux. Et l’on peut à présent poser un nom sur l’entr’aimer d’amitié, en meslant nos mots et choses à ceux de Montaigne et des Anciens : cette amitié, c’est la fraternité trouvée, c’est la fraternité choisie, c’est la fraternité survivant au frater dans le frater.

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En guise de conclusion : l’amitié, à l’avenir.

L’on peut, en fin, à présent, nous corriger et jauger ce que perd l’ami en perdant l’ami. Car ce n’est pas exactement l’expérience de la perte de soi dans la perte de l’autre que vit Montaigne écrivant : c’est la perte d’une juste image, c’est la perte du seul soi justement déchiffré. Là est, entre autres, une des raisons d’être des Essais et de cet essai en particulier : Montaigne doit (se) déchiffrer, (s’)envisager à nouveau pour tenter ce qui restera à jamais tentative, puisqu’elle est tâche et cause perdue : se retrouver tel qu’il était alors : lisible et lu en effet. De là, aussi, l’ex-ception, l’intempestivité de l’amitié entre ces amis pétris de lectures antiques. De là que fut telle « cette amitié […] que Dieu a voulu, entre nous, si entiere et si parfaite que certainement il ne s’en lit guiere de pareilles, et, entre nos hommes, il ne s’en voit aucune trace en usage. »
Toutefois, « si entiere et si parfaite » que cette amitié fut, Montaigne émet un regret qui est un souhait. Nous l’avons mentionné, et il nous faut y revenir . C’est l’un des passages les plus fascinants de l’essai, et il a trait à la grande absente des écrits sur l’amitié :

« Joint qu’a dire vray la suffisance ordinaire des femmes n’est pas pour respondre à cette conference et communication, nourrisse de cette saincte couture ; ny leur ame ne semble assez ferme pour soustenir l’estreinte d’un neud si pressé et si durable. Et certes, sans cela, s’il se pouvoit dresser une telle accointance, libre et volontaire, où, non seulement les ames eussent cette entiere jouyssance, mais encore où les corps eussent part à l’alliance, où l’homme fust engagé tout entier : il est certain que l’amitié en seroit plus pleine et plus comble. Mais ce sexe par nul exemple n’y est encore peu arriver, et par le commun consentement des escholes anciennes en est rejetté. »

Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce que cela ? Une amitié « plus pleine et plus comble » ? Qui n’aurait jamais « encore » vu le jour ? Une amitié possible, à venir, potentiellement plus « grande » encore que celle entre Montaigne et La Boétie ? Qu’est-ce que cette phrase, en laquelle la manière d’arrangement des mots nous pose une fois encore une énigme, par ces rimes intérieures entre nèmes de trois syllabes, qui semblent autant d’appels et rappels : « accointance » / « jouyssance » / « à l’alliance » / « tout entier » / « amitié » ? par cette sorte de triptyque à coups de marteau : « ame » / « corps » / « comble » ? Qu’est-ce à dire : la « part » du « corps » en « l’alliance » ? Montaigne rejette, nous l’avons vu, la « licence Grecque » homosexuelle comme ayant trait à l’amitié. Point de sexe entre hommes s’ils sont amis. Mais Montaigne pense-t-il au sexe en disant cette « part » du « corps », part manquante ? Il nous semble que oui. Car tout est question de désir : désir et volonté, désir assumé, de se perdre en l’autre, de s’y fondre, en âme (nous l’avons vu) comme en corps. L’amitié entre Montaigne et La Boétie était aussi « parfaite » qu’elle pouvait l’être entre hommes. Et l’amitié « parfaite », l’entr’aimer d’amitié « entier » serait en fait un aimer le nom et l’entraille entre un homme et une femme. Manquait alors, au temps de Montaigne écrivant, une manière de femme à l’âme d’homme. L’on pourrait assurément voir en ce souci d’une pleine amitié, une résurgence du mythe de l’androgyne. Nous soupçonnons plutôt en ce regret, souhait et souci d’amitié une intuition d’une grande justesse. Que c’est en fait être même et autre : « ames » de concert et corps qui diffèrent et union de celles-là comme de ceux-ci. Que ce qui manque à l’amitié, c’est la femme. Qu’elle est son avenir. Et que l’avenir, ce nous semble, est peut-être déjà là.

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Et les notes en vrac...

MONTAIGNE Michel de, Les Essais, 3 vol., éd. Pierre VILLEY, dir. et préface V.-L. SAULNIER, « Quadrige », PUF, Paris, 1992.
DERRIDA Jacques, Politiques de l’amitié, « La philosophie en effet », Galilée, Paris, 1994. p.46.
Montaigne, op. cit., p.193.
LA BOÉTIE Étienne de, De la servitude volontaire Ou Le contr’un, préface A. VERMOREL, « Les meilleurs auteurs anciens et modernes », Bibliothèque nationale, Bureaux de la publication, Paris, 1870. p.61.
ARISTOTE, Ethique à Eudème, trad. Vianney Décarie, « Bibliothèque des textes philosophiques », Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1997. 1237d 10-15.
CICÉRON, Lélius, ou l’Amitié, trad. Xavier Bordes, n°66, Mille et une nuits, s.l., 1995. p.25.
Derrida , op. cit., p. 23.
Montaigne, op. cit., p.193.
Mot à prendre au sens anglo-saxon de la racine, et emprunté à : Derrida, op. cit., p.14.
La Boétie, op. cit., p.87.
Montaigne, op. cit., p.184.
Montaigne, ibid.
Montaigne, op. cit., pp.184-185.
Montaigne, op. cit., pp.185-186.
Montaigne, op. cit., pp.186-187.
Montaigne, op. cit., pp.187-188.
Montaigne, op. cit., p.188.
Montaigne, op. cit., p.190. Pour ces amitiés moindres, écrit Montaigne, « il faut employer le mot qu’Aristote avoit tres-familier : O mes amis, il n’y a nul amy. » Ce n’est pas notre intention ici de commenter ces mots, puisque nous ne nous intéressons qu’incidentellement à ces autres amitié, mais qu’il nous soit permis de renvoyer le lecteur à l’analyse pénétrante et séduisante — et donc parfois, ce nous semble, dangereuse, de ce « mot » par Derrida (op. cit.), analyse qui structure en son long ce texte comme un leitmotiv obsessif sans cesse repris dans la tresse des auteurs convoqués.
Aristote, op. cit., 1236a 30 et sqq.
Aristote, op. cit., 1236b.
Aristote, op. cit., 1237b 35.
Montaigne, op. cit., p.184.
Montaigne, ibid.
Montaigne, op. cit., p.189.
Aristote, op. cit., 1241a 30-35.
à la fois au sens anglo-saxon et français du terme, à savoir : suivre à la trace, et représenter par lignes ou points (figure).
Montaigne, op. cit., p.184.
Montaigne, op. cit., p.188.
NIETZSCHE Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Geneviève Blanquis, GF-Flammarion, Paris, 1996, pp.101-102, « De l’amour du prochain ».
Montaigne, op. cit., p.186.
Montaigne, ibid.
Montaigne, op. cit., p.191.
Montaigne, op. cit., p.186.
Montaigne, op. cit., p.188.
Montaigne, op. cit., p.189.
Montaigne, op. cit., pp.189-190.
Montaigne, ibid.
Montaigne, op. cit., pp.186.
« Il y a, au delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulierement, ne sçay quelle force inexplicable et fatale, mediatrice de cette union. » (Montaigne, op. cit., p.188.)
Montaigne, op. cit., p.188.
Montaigne, op. cit., p.186.
La Boétie, op. cit., pp.88-89.
Montaigne, op. cit., p.191.
en reprenant l’appel que Montaigne (op. cit., p.194) emprunte à Catulle (LXVIII, 20 et LXV, 9) : « mon frère », « frère qui m’était plus cher que la vie », « vita frater amabilior ».
Montaigne, op. cit., p.184.
Que l’on ne nous en veuille d’ouvrir une telle question en un lieu où il faudrait « conclure » — que l’on ne nous en veuille, non plus, d’avoir négligé la symétrie, une symétrie certes demandée mais somme toute rhétorique, en ce devoir —, car ces choix sont à la fois, ce nous semble, réponses à des exigences logiques (primant sur l’exigence formelle) et à des préoccupations personnelles, à des obsessions assumées (qui, de même que pour Montaigne, se doivent faire mots).
Derrida n’a pas manqué de le remarquer pour d’autres (mais il oublie injustement Montaigne) : « Ce qui pourrait […] sauter aux yeux dans cette procession immense, moderne et sans âge […], ce qui devrait sauter aux yeux mais passe inaperçu comme l’absence même, ce qui disparaît à se fondre en plein désert, c’est la femme ou la sœur. Pas même un mirage. Rien. […] Vous chercheriez en vain une figure de femme, une silhouette féminine […]. » (op. cit., p.179.)
Montaigne, op. cit., p.186-187.

2 commentaires:

Chat. a dit…

C'est long, très long, mais fort heureusement c'est intéressant. Merci pour cette brillante analyse.
Chat.

n a dit…

Merci.