Japon : Assistanat et infantilisation



On lit souvent ci et là que les Japonais sont de grands enfants — cette part et recherche du plaisir et de l'amusement, motivée / motifée parfois et le plus souvent, c'est selon, par un besoin de coupure entre travail et famille, par la continuation obligatoire de la soirée entre collègues pour les hommes, par un excès de temps libre chez d'autres.

Ce comportement est d'évidence fortement encouragé par une société d'outre-consommation — Japon pays du commerce de la boisson, du sexe des bars à hôtesses aux soaplands &c., des produits de marque et de mode aux rapides revirements — les jeunes filles portant parfois leurs vêtements une paire de fois seulement avant de les revendre pour en racheter d'autres.

On trouve d'autres indices de cet assistanat et infantilisation forcenés dans cet auto-célébré "service à la japonaise", où le vendeur, caissier ou que sais-je, se doit de considérer le client comme un dieu, proverbe et tradition, et d'être aussi peu humain que possible, discours et comportements formatés, faux sourire et appuyez sur la touche pause. La forme probablement idéale de ce service s'incarne dans cette armée de  distributeurs automatiques de boissons, nourriture, cigarettes et autres, qu'on trouve en toute gare et coin de rue citadin, qui parlent même parfois en vidéo, comme les escaliers mécaniques, qui officient sans piper, tout en faisant l'économie d'un personnel faillible et pourtant déjà sous-payé. On applaudit.

Les Japonais sont de grands enfants, soit, aux désirs desquels ne s'opposent plus que les moyens financiers de la réalisation de ces désirs — l'argent fait loi. Qu'en est-il des enfants ? je veux dire : les vrais — qu'en est-il de l'infantilisation des enfants de ces grands enfants ? À formuler la chose ainsi, on peut se douter que ce n'est pas brillant. Le souci constant est ici de les maintenir le plus long-temps possible dans l'Enfance Légale, la petite, l'irresponsable en uniforme. On est bien loin des quatorze et quinze ans des Juliette et Roméo, et tout œuvre — les mères y sont pour beaucoup — à ce que l'adolescent demeure ce cher et mignon petit roi en cage. Pour en rajouter une couche, du fait de la sous-natalité, écoles et universités traitent l'élève et l'étudiant en client, lequel s'y habitue et ne supporte plus aucune remontrance de la part d'une factice forme autoritaire professorale — les parents-monstres veillent aussi de leur mieux.

Bien sûr, la tradition de fait de l'enfant unique dont le gouvernement désespère en vain, due à diverses choses, n'aide pas guère à l'affaire : les gamins, habitués au gâtage inconditionné de leurs grands enfants de parents, poursuivi au-delà de l'âge légal, le plus tard possible en fait, dans l'indicible espoir compris de tous que leur futur grand enfant s'occupe à son tour de ses vieux enfants de parents à leur retraite — sauf que, de plus en plus souvent, les plans sont déjoués par la personnalité qu'ils ont eux-mêmes créée, qui ne voit pas pourquoi elle s'embêterait avec deux ancêtres chiants et empêcheurs de s'amuser en rond — les gamins, je reprends, deviennent par cette enfantillage unique peu aptes à quelque partage, patience, ouverture et autres qualités qui nous semblent capitales bien que, paraît-il, fort-surannées. Là, par ailleurs, se brise le cercle traditionnel de l'entr'aide par obligation réciproque, l'otagai-sama, car la jeune génération — ces fameux Heisei-no-ko — ne se sent, justement, pas obligée du tout par qui ni quoi que ce soit.

D'aucuns placent la cause ou l'origine de ce comportement dans l'abondance de la Bulle et l'entretien artificiel des habitudes ensuivies par une machine aux relents de bio-pouvoir foucaldien avancé, qu'arrageaient bien ces outre-dépenses. Quoi qu'il en soit, ça donne des générations droguées, dépendantes à la consommation, aux stimuli consommateurs, au traitement de prince et princesse, dont la vision du monde se limite souvent à celle offerte par cet excrément gras et rose qu'est la télévision japonaise, faite de programmes burlesques où l'on encourage la moulinette du ridicule et de la maltraitance sans réplique, de l'auto-célébration nationale et de contrôle facile de foules crédules et ignorantes — car le Japonais ne sait plus grand-chose, plus même le passé de son île divine ou le droit de révolte, et préfère de loin la facilité d'un présent continu et d'une mémoire de poisson rouge.

Ceci dit, on connaît et côtoie tous des gens qui forcent le respect, partis d'eux-mêmes de chez les parents à dix-sept ans vers la capitale pour l'apprentissage d'un métier et l'ouverture de leur propre échoppe, ou encore de grande culture et d'esprit critique. Ça me sert de disclaimer, et rassure quelque peu tout de même.


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